
Le Prix du premier recueil a été remis le 22 septembre 2008 au Centre national du livre en présence de M. Benoît Yvert.

La lauréate est Mary-Laure Zoss, pour Le Noir du ciel.
Discours de présentation par Pierre Chappuis
Le lecteur reconnaît immédiatement, sinon une langue, du moins une voix étroitement en accord avec ce dont elle parle, car c’est bien de se tenir près de la parole qu’il s’agit par certains raccourcis familiers, par une économie de moyens, l’emploi fréquent du pronom (im)personnel on, une ponctuation dépendant du souffle plus que des charnières syntaxiques. À propos sans doute d’un jeu d’enfants : « quand on sort il a neigé, les couleurs restent dedans, il faut s’approcher plus près, faire des morceaux dans l’ombre pendant qu’on voit encore quelque chose, tout ça disparu comme au fond d’un sac quand on nous appelle… »
Oralité, certes, mais écrite, qui se marie à l’écrit et dont on sent bien qu’elle ne cède à aucun artifice. Elle répond au contraire à un vœu de fidélité au monde rural, paysan, selon « un goût de l’élémentaire » — l’expression est de C.-F. Ramuz qui voyait là « un goût de l’universel ». Toutefois, bien plus que de Ramuz, je vois Mary-Laure Zoss proche d’écrivains d’aujourd’hui soucieux d’un semblable enracinement de la langue, tels James Sacré ou Antoine Emaz (responsable du prière d’insérer en quatrième de couverture). N’empêche que le ton est personnel, affranchi de toute ombre de ressemblance (surtout dans les parties les plus récentes du livre).
Le noir du ciel se donne à lire comme une succession de courtes proses — poèmes en prose — comme autant de bribes sans lien évident ou narratif entre elles, néanmoins d’une remarquable cohérence par les éléments en jeu qui traversent l’ensemble, reviennent, s’entrecroisent dans un climat de désarroi inquiet où se mêlent rêve et réalité, le souvenu et le vécu et que corroborent, outre le « noir fumé » du ciel, la neige, le froid, la pénombre.Bribes, oui ; chaque page est conçue telle : pas de majuscule initiale qui marquerait un point de départ ; pas de point final. Ainsi surgit une phrase incomplète mais d’une seule coulée, saisie au vol quoique interviennent sans crier gare de moindres ruptures, comme si on était en présence d’un miroir brisé et fragmenté. Miroir terni — celui de la mémoire liée à l’enfance —, d’un éclat sombre qui oblige à « remonter tant d’obscurité » et qui fait qu’on y voit à peine, qu’on « flotte comme une aiguille sur l’épaisseur de la nuit » (aiguille, bien sûr, déboussolée). Corrélativement, les mots qui viennent sont « des mots sans ordre qu’on ne rassemble pas ».
Le miracle est que, dans le flou qui règne partout percent des notations d’une rare acuité et précision, tout comme, dans le brouillard ou le demi-jour (si persistants l’un et l’autre d’une page à l’autre), l’œil qui cherche à y voir clair se raccroche à des détails plus nets et doit se faire lui-même perçant pour parvenir à distinguer quelque chose — « des jours on va une farine sèche au fond de la voix » ; « on avance malgré tout /…/ à l’envers du vent qui continue ».
Discours de Mary-Laure Zoss
Le prix que je reçois aujourd’hui me réjouit très profondément, c’est là une reconnaissance que je n’attendais pas, bien sûr, qui vient s’inscrire dans la durée d’un parcours mené dans l’obscurité, parcours tâtonnant, épineux souvent, longues années d’écriture gardée secrète, tant il est difficile d’entendre sa propre voix, de la soutirer peu à peu à ce qui ressemble à un chaos.
À la débrouiller parmi les autres, on s’épuise tantôt, force est de se hasarder dans des champs crevés d’angoisses, se retenir à d’improbables garde-fous, lanterne fêlée à la main, il y a pourtant parmi ces trajets si peu sûrs des instants de plénitude, quand les mots semblent s’ajuster, dans une fidélité à soi-même. Sois dans le vrai, intime une voix intérieure, ne te trahis pas, serre au plus près les mots, ils finiront par te ressembler.
Des années donc, avant d’avoir pu porter quelques-uns de ces textes au grand jour, il a fallu arracher cette décision à une incurable défiance, courir le risque de ne pas être entendue, d’être renvoyée à la claustration d’un silence. J’observe aujourd’hui encore qu’il est possible et bénéfique de risquer sa parole, qu’on peut, sans forcément se perdre, passer de l’espace du dedans à celui du dehors. Ma joie est comble de découvrir que cette parole longtemps balbutiée, continuellement reprisée dans l’ombre, finit par être véritablement entendue, accueillie, comme je n’aurais jamais pu imaginer qu’elle le soit. Et m’émeut aussi le fait d’avoir à passer la frontière pour venir recevoir ce prix, une frontière géographique et intime, puisque se sont parfois tourné le dos les univers d’une double origine, française par ma mère, suisse par mon père ; la reconnaissance que je reçois aujourd’hui est comme le signe d’un commerce réhabilité, depuis ce temps où je venais à Paris, rue Laborde, puiser images et mots dans la bibliothèque des grands-parents.
Je vous dis ma profonde gratitude d’être venus à ma rencontre, d’avoir réservé au Noir du ciel un accueil si chaleureux.